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La low-tech est-elle soluble dans le marketing ?

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Dans ce système de consommation prédatrice, comment repenser les stratégies marketing pour promouvoir des produits respectueux de l'environnement et de la société ? C'est quoi, concrètement, le "soft marketing" ?

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"J’ai juste envie de planter un panneau ACHETEZ PLEASE devant mon stand !” Ce soir, Clémentine a le bourdon. Elle a investi de l’argent et du temps pour participer à un salon. Elle est venue avec ses Vulvas – des “vitraux sur le féminin”. Elle pensait que le public serait ciblé, sensibilisé. Au final, elle a fait deux ventes en sept heures. Ses voisins ont plié bagage avant la fin, dépités. “On y croyait pourtant !”

Qu’est-ce qui a merdé ? It's the marketing, stupid !

Elle n’avait juste pas le bon produit, au bon prix, au bon endroit et avec la bonne com’. C’est tout.
Ce jour-là, les visiteurs venaient pour voir un défilé de mode, pas les produits de Clémentine. Ils ont payé l'entrée 8 € par personne... Et n’avaient plus grand chose en poche pour acheter des Vulvas. Et puis, c’est quoi ces “Vulvas” ? Ça sert à quoi ? C'est quoi est leur histoire ? En quoi ça les concerne ?

Vous avez beau avoir les meilleures intentions et le meilleur concept du monde, il suffit d’un mauvais marketing pour que tout tombe à plat.

Dans l’épicerie Saveurs et traditions de mon patelin normand, on vend des graînes et des faux-cafés de Néoloco – par le fameux boulanger solaire Arnaud Crétot. “J’adore les produits de Néoloco, m'explique Laurence, la gérante, mais leur souci c’est leur packaging en papier kraft. S’il était plus fun ou plus chic, ils doubleraient leurs ventes ! J’en suis certaine. Ou bien ils pourraient miser sur des bocaux en verre consignés. Ça marche très bien chez nous !”

Au début de notre dossier sur le design (Low-Tech Journal n°9), Gauthier Sklarcyk écrivait : “L’esthétique fait partie de la fonctionnalité. C'est là le défi du designer low-tech : savoir où ajouter un supplément de ressources (et d'âme ?) pour rendre les systèmes low-tech plus pimpants et séduisants.”

Julien Massiot, fondateur de l’agence Wild & Slow appelle ça apéroiser la low-tech. “Il faut reprendre les codes du cool. Arrêtons de nous cacher derrière des statistiques et de sur-intellectualiser. Nous ne sommes pas des êtres rationnels. 90 % de nos décisions sont basées sur des habitudes et des émotions. Voilà pourquoi les discours trop rationnels ne fonctionnent pas : ils n’ont pas de charisme !

Marketing prédateur contre marketing ethique

Dans notre système consumériste où “l’offre crée sa propre demande”, un marketing conquérant s’est imposé. Un marketing au vocabulaire guerrier (cible, impact, opé, consommateur captif...). Un marketing synonyme de manipulation, de matraquage publicitaire, de mensonge, d’obsolescence programmée, de vente forcée, d’espionnage… Où tous les coups sont permis pour faire des ventes. Un markerting prédateur.

Pourtant, selon Jeffrey Harmon, prof à Harvard : “le marketing peut parfois se résumer à de la pédagogie”. Et d’évoquer un marketing informatif voire éducatif (du latin Edŭcare, “conduire hors du chemin”, attirer l’attention).

Un marketing éthique est-il possible ? Peut-on le remettre à sa place d’outil ? Et peut-on le mettre au service de la déconsommation ?

Pour Émilie Lechevalier, de l’agence Vivre Low-Tech, la réponse est oui, trois fois oui.

  1. N'y voyez pas d'insulte, mais le détournement d'un slogan de Clinton.
  2. Des neurologues, comme Antonio Damasio de l’université de Californie du Sud, ont montré que, dans le cerveau humain, notre raison se nourrissait de nos émotions. Voilà pourquoi il nous est si de penser au-delà du cercle de nos proches et d’un futur immédiat.
  3. Des sociologues comme Marie-Chantal Doucet ont démontré que “les sermons” ont beaucoup moins d’impact que les contraintes. Agir pour le bien est moins une question d’agir rationnel, qu'une question de motivation “émotionnelle”, associée à des “passions” tristes ou joyeuses.

La campagne de pub des “dévendeurs” lancée par l’ADEME en marge du Black Friday 2023, le prouve.

Ses quatre spots publicitaires qui présentaient des clients hésitant à acheter un polo, une ponceuse, un lave-linge et un téléphone. Et voici qu'un dévendeur les encourage, non plus à acheter, mais à louer, réparer ou privilégier la seconde main.

La campagne accompagnait le lancement du site epargnons nos ressources.gouv.fr. Évidemment, ce message audacieux a provoqué l'ire des fédérations d'industriels qui en ont exigé le retrait sous la menace d'une action en justice pour dénigrement commercial. Mais, elle a un tout de même connu un succès auprès du public, pour son côté "non culpabilisant".

De quel marketing avons-nous besoin ?

On ne résout pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé”, disait Albert Einstein. On pourrait donc être tenté de jeter le marketing avec l’eau du bain consumériste. Au risque de priver son projet de nombreuses chances de réussir... Dilemme insoluble ?

Pas vraiment. Car, comme l’expliquait Jacques Ellul dans La Technique ou l’enjeu du siècle (1954), ce n’est ni le capitalisme, ni le marketing qui dirigent ce monde, mais la machine.
Le marketing n’est ici qu’un système, qu’un outil, qu’une technique. Bien sûr il n’est pas “politiquement neutre”. Comme toute technique, il porte en lui ce que les philosophes nomment “un pouvoir moral”. Concrètement, il pousse toujours à la consommation.

Mais, pour Émilie, “même si le marketing cherche toujours à vendre, on est pas obligé de vouloir vendre toujours plus. On garde notre libre arbitre. On peut choisir de ne vendre que ce qu'on a besoin de vendre pour atteindre le chiffre d’affaires qui permet de couvrir ses dépenses, de vivre dignement et de pérenniser sa boîte”.

On parle donc ici d’un marketing “a-croissant”. Une philosophie qui permet “d’aligner son marketing et sa communication avec ses convictions écologiques”, promet Émilie. Mais alors, concrètement, on fait comment ?

"Le marketing a pour but de rendre désirable ce qui ne l’est pas encore." John Grant

Mini-guide du soft marketing

Se lancer sans connaître la règle des 4P (produit, prix, promotion, placement), c’est comme créer un groupe de rock sans connaître le solfège. On se fait vite avoir par les mirages de l’impro !

Reprenons donc les bases.

1-La politique de produit

Certains voudraient convoquer une assemblée populaire qui définirait nos “besoins essentiels” puis listerai des “besoins artificiels” et donc une liste de produits et services limités voire interdits. En attendant ce jour (heureux ou funeste ? Ça se discute), c'est au consommateur qu'il revient de définir ses propres besoins. Dont acte.

Un produit low-tech se reconnaît à un faisceau d’indices qui traduisent la volonté du concepteur de concilier qualité (de vie ou de service) et frugalité énergétique. Je vous laisse parcourir la do-low-list p.9. Attention : il ne s’agit pas de cocher toutes se cases, mais le plus grand nombre possible. La low-tech reste un idéal. Et offrir une alternative “lower-tech” (adoucie) d'un produit ou service high-tech, c’est déjà entrer de la démarche.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le modèle de production low-tech, je vous renvoie au Low-Tech Journal n°7.

Voici un résumé de ce que vous y trouviez :

  • une conception partagée à l’échelle globale (plans sous licence Creative Commons disponibles en ligne).
  • une production à l’échelle locale dans des usines distribuées.
  • une réalisation ou finition avec le client, afin de lui apprendre à utiliser, entretenir et réparer son produit.

Ce troisième point est très important. Car il donne une valeur sentimentale au produit et procure une expérience unique au client qui renforce son attachement à l’objet. Discutez avec des celleux qui ont construit des Kerterres, des éoliennes Pigott ou des chaussures dans l'Atelier Orme à Paris. Toustes ont vécu une expérience humaine marquante qui donne à ce qu’ils ont fabriqué une valeur considérable.

2-Le juste prix

Qu’est-ce qu’une politique tarifaire juste ? Celle qui permet au plus grand nombre d’acheter votre produit, tout en payant dignement vos employés et fournisseurs.

Inspirez-vous de la marque d’agro-alimentaire C’est qui le Patron ?!, qui rémunère ses producteurs et productrices à un prix juste et selon un processus totalement tranparent.

Quand au “positionnement de gamme”, comme on dit, Julien Massiot de l'agence Wild & Slow est formel, “un produit low-tech n’est pas un produit de luxe. Il faut sortir de l'idée que "l'écologie coûte trop cher. Proposez, par exemple, un comparatif simple entre le prix d’usage de votre produit et celui d’une version made in China.”

3-Quelle marketplace choisir ?

Par quel canal allez-vous distribuer votre produit ? C’est ici que ce joue la cohérence de votre image de marque.

Affirmer, comme l'auteur Laurent Maudiut, que “vous ne me trouverez pas sur Amazon !" est un choix louable, mais insuffisant, car il laisse le champ libre à des copieurs.

Jusqu'ici, les canaux de vente majoritaires des écolos étaient les salon spécialisés ou leur propre site "éco-conçu".

Désormais, des marketplaces low-tech émergent. Notamment Lowreka et Low-Tech Store. Des sites qui prônent la déconsommation et utilisent un système de score environnemental pour présenter leurs produits.

4- Promouvoir sans perdre son âme

Je vous passe les conseils sur l’usage d’emballages et de logos qui “incarnent” votre démarche : couleurs signifiantes, livraison à vélo, sachet zéro-déchet ou biodégradable, label, etc. Venons-en à l’essentiel : la com’.

À ce propos, Émilie Lechevalier est formelle : on peut faire connaître son produit en évitant la prospection directe non sollicitée. “L’essentiel est de respecter l’espace personnel des gens. Cela exige de renoncer volontairement à des tactiques pourtant extrêmement efficaces de ' marketing intrusif ' comme l’affichage publicitaire, les pubs sur les réseaux sociaux ou le démarchage téléphonique. Certains diront que c’est se tirer une balle dans le pied... Mais je sais qu’on peut avoir une entreprise viable sans !

Le second axe, selon elle, est de ne “pas associer le bonheur ou le succès à la possession de votre produit”.

Bref : les consentement des clients doit primer sur votre recherche de profit.

Le principal conseil d'Émilie : “privilégiez le marketing entrant (inbound) au marketing sortant (outbound = publicité). Concentrez-vous sur la création de contenu de qualité en ligne ou dans la vraie vie (festival, conférence...) qui vont faire connaître votre marque.”

> en publiant des articles sur son blog, pour répondre aux requêtes d’utilisateurs et obtenir un bon référencement naturel sur les moteurs de recherche. Le client obtiendra des conseils précieux et aura une première rencontre positive avec votre marque. De plus, un article vous rapportera du trafic longtemps, alors qu’un post sur les réseaux sociaux est éphémère.

> en publiant une infolettre qui va augmenter votre proximité avec l’audience, ainsi que votre résilience, puisque la liste mail vous appartient, contrairement à votre communauté sur un réseau social.

> en échangeant “dans la vraie vie” avec votre communauté (apéro, soirée, festival, salon).

> en privilégiant la publicité informative (outbound marketing). Oui, une pub peut-être informative. La preuve avec les annonces parues dans La Maison Écologique ou le Low-Tech Journal qui sont à la fois rares, utiles, cohérentes, accessibles (peu chères), et en soutien de marques  méconnues.

"Il faut se rendre vulnérable : c'est en se rendant vulnérable qu'on touche l’émotion des gens. Il faut prendre le risque d’être aimé et montrer le coeur qu’il y a derrière ce que l’on fait." Julien Massiot de Wild & Slow

5-L’ingrédient secret, le 5ème P : les personnes

La grande force de ce soft marketing est de donner la priorité à l’humain sur la technique.

Dans la démarche low-tech, le client n’est pas qu’un client. C’est une “partie prenante” de votre entreprise (on parle de stakeholder).

Car il n’achète pas votre produit, mais investit dans une marque qui incarne ses valeurs.  Il ne cherche pas le meilleur rapport qualité/prix : il fait le choix d’un mode de vie.

Il ne consomme pas : il défend une cause. Votre client est un sympathisant voire un militant.
Il est votre meilleur allié.

Impliquez-le dans la vie de votre marque : parlez-lui des composants du produit, des procédés de construction, de vos réflexions, des évolutions, mettez à jour son mode d’emploi, proposez des conseils d’entretien et d’utilisation pour le conserver le plus longtemps possible.  

Dans la démarche low-tech, il n’y a pas de concurrent. La low-tech est un secteur de niche fragile – de par son modèle économique souvent non-lucratif.

Développer un écosystème low-tech résilient exige de privilégier la coopération. Pour autant, “utiliser les bordures”, comme on dit en permaculture, n’interdit pas d’avoir chacun son pré carré.

Autrement dit, coopération et compétition peuvent co-exister entre différentes marques.

Une des clés d’un mode de vie low-tech est la mise en commun des systèmes énergivores (covoiturage, bains publics, cybercafé, atelier partagé, four communal...).

Si l’on décline ce principe au marketing low-tech, une coopétition doit exister en matière de communication.

La com’ est trop souvent négligé parce qu’elle est chronophage, techniquement exigeante (matériel vidéo, audio) et coûteuse (attaché de presse, créa de site web).

Mettre ses réseaux en commun, jouer l’entraide, partager des contenus, des infolettres, des évènements... Il est temps de s’entre-promouvoir pour faire taire la logique guerrière à l’oeuvre dans le marketing prédateur.

“Si vous voulez qu’ils bifurquent, il faut leur mettre un panneau !” me disait Jean-Lou, apiculteur dans l’Eure.

Le marketing éthique peut rendre désirables les alternatives low-tech, tout en ringardisant les pratiques écocidaires.

C’est une preuve supplémentaire - à côté du succès des SCOP et de l'ESS - qu’un autre modèle économique est possible, au sein même du capitalisme entrepreneurial.

Pour conclure, voici 3 conseils pour un soft marketing tirés de nos échanges avec des entrepreneurs low-tech.

-D’abord, privilégier les réalisations concrètes avec ses clients (moins de numérique, plus de physique). Ne pas avancer seul, mais avec sa communauté.

-Ensuite, prouver que “ça marche” avant de promettre que “ça va révolutionner le monde”.

-Enfin, ne pas rester sur la défensive, ni se contenter de dénoncer. “Dépasser la posture victimaire”, comme le dit Julien Massiot pour “être fier de ses choix” et tenter de convaincre par l'exemple. “Regardez le site du Moulin de Pont Rû”, nous conseille-t-il (moulindepontru.com) C’est simple, clair, joyeux, coloré, apaisé...

En un mot : ça donne envie !
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